mardi 8 décembre 2009

L'affaire de la vieille dame


Le mercredi 15 décembre 2005, les dirigeants de la Juventus de Turin ont été "blanchis" en appel des accusations qui avaient valu à Riccardo Agricola (médecin chef du club) d'être condamné en novembre 2004 à un an et dix mois de prison pour "fraude sportive et administration de produits dangereux".



Chronologie de l’affaire :

Juillet 1998. Zdenek Zeman, entraîneur de la Roma pointe dans une interview «l'explosion musculaire» de certains joueurs de la Juventus et demande au Calcio de «sortir des pharmacies».

Août 1998. Le procureur Guariniello ouvre une enquête. Lors d’une perquisition ordonnée par le procureur Raffaelle Guariniello, 281 types de médicaments sont trouvés dans les locaux de la Juventus de Turin. « De quoi subvenir aux besoins d’un hôpital de taille petite ou moyenne », dira un expert. On trouvera également une dizaine de produits figurant sur la liste des produits interdits du Comité international olympique. Sans parler d’autres manipulations pharmacologiques (EPO ou transfusions) qui, à défaut d’être découvertes le jour de la perquisition, auront laissé des traces indirectes dans certains dossiers médicaux. Saisie des dossiers médicaux des joueurs. Del Piero et Vialli sont entendus.

Septembre 1998. On apprend que le laboratoire romain de l'Acquacetosa ne contrôlait pas les anabolisants, que des dossiers de footballeurs y ont disparu et que des contrôles positifs ont été dissimulés. Le président du Comité olympique italien est contrait de démissionner.

Octobre 1998. Des documents saisis chez un médecin révèle des taux d'hématocrite anormaux chez les joueurs de Parme. Les mesures ont été effectuées alors que Thuram et Boghossian étaient en vacances. Daniel Bravo fait état de piqûres «douteuses» lorsqu'il évoluait au club. Le club évoqua une erreur de l'appareil de mesure.


Mars 1999. Deschamps et Zidane sont entendus par le procureur.

Juin 2000. Sandro Donati, responsable du Comité olympique italien (CONI) indiquait que la Juve avait pris sous contrat en 1998 deux "conseillers" pour le moins controversés, qui opéraient auparavant dans l’athlétisme: l’Argentin Guillermo Laich, «spécialiste de l’hormone de croissance, réputé pour ses méthodes plutôt dangereuses», et le Néerlandais Henck Kraajienhof, connu pour avoir soutenu par le passé l’utilité des stéroïdes. «Il était même allé jusqu’à plaider dans un journal de son pays la libéralisation du dopage!» En fait, poursuit Donati, «c’est le début des enquêtes (...) qui a mis fin à cette tentative de dopage programmé dans le foot. Les clubs ont eu peur et à ce moment-là, ils ont tous rompu leurs contrats avec ces médecins un peu "spéciaux". S’il n’y avait pas eu toutes ces affaires, je pense qu’une période très dangereuse s’annonçait pour le Calcio» (L’Humanité).


Juillet 2001. Un premier rapport d'expertise identifie des «profils pharmacologiques inquiétants», des variations anormales de taux d'hématocrite et une administration de fer et de créatine dangereuse pour la santé

Janvier 2002. Ouverture du procès, qui comptera trente-neuf audiences.

Octobre 2003. Gianluca Vialli, au club de 1992 à 1996, déclare qu'il subissait de nombreuses injections, alors que «neuf fois sur dix, il ne soufrait pas de troubles particuliers».

Janvier 2004. Après avoir décliné deux fois l'invitation pour «raisons professionnelles» Zinédine Zidane se présente au tribunal et admet la consommation de créatine entre 1996 et 2001 (ce reconstituant musculaire ne figure pas sur la liste des produits interdits). Il dit penser que les produits qui lui étaient administrés le matin des matches via des perfusions ou des piqûres étaient "des vitamines".



Juin 2004. Dans son rapport, le Pr D'Onofrio conclut à l'usage «quasi-certain» d'EPO par Antonio Conte et Alessio Tacchinardi. Il s'interdit un diagnostic définitif pour Zinédine Zidane et Didier Deschamps, même si ce dernier présente des variations de taux d'hémoglobine et de ferritine suspects.

Novembre 2004. Le jugement rendu se rapportait à la période 1994-1998 du club. L’expertise finale, confiée en partie au professeur Giuseppe D’Onofrio, a porté sur l’étude des paramètres sanguins de quarante-neuf joueurs et a conclu à l’utilisation quasi certaine de l’EPO ou de transfusions pour deux joueurs, Conte et Tacchinardi, et très probablement pour six autres footballeurs, dont Didier Deschamps. Le taux d’hématocrite de ce dernier a pu atteindre 51,9%, et au vu de l’importance des variations de ces mesures d’hémoglobine, l’expert indique une «stimulation exogène». Le jugement confirme la sanction pour "fraude sportive" et mentionnent l’utilisation de l’EPO. Il indique aussi que le Dr Agricola "ne peut s’être procuré seul l’EPO, ni avoir agi sans l’autorisation préalable de ses supérieurs". Le Dr Agricola est condamné à un an et dix mois de prison ferme et à une interdiction d’exercer, l'administrateur délégué Antonio Giraudo bénéficie d'un non-lieu.

Décembre 2005. Durant ce procès, l'hématologue Giuseppe D'Onofrio, a pourtant conclu à la certitude du recours à l'EPO et aux transfusions sanguines pour au moins deux joueurs (Antonio Conte et Alessio Tacchinardi). L'enquête et les experts avaient aussi démontré l'usage par les turinois d'une pharmacopée, en dépit de toute justification médicale... Mais voilà, le juge Gustavo Witzel a décidé que la loi sur la "fraude sportive", originellement destinée à la corruption et aux paris truqués, ne s'appliquait pas au dopage.

Coup de chance pour la juventus, la loi antidopage votée en 2000 ne pouvait sanctionner des faits remontant à 1994-1998. Comme le soulignait Stéphane Mandard dans Le Monde, “La cour d'appel du tribunal de Turin n'a pas remis en cause les conclusions de l'expertise pour blanchir le médecin de la Juventus. Elle a simplement précisé que ni l'usage de médicaments ni l'administration d'EPO n'étaient considérés comme un délit au regard de la loi sur la fraude sportive en vigueur en Italie au moment des faits. Le football professionnel sembla plus que jamais bénéficier d'une remarquable impunité en matière de dopage. Comme l'a regretté le Pr D'Onofrio : "Il est clair que le foot est intouchable. Désormais, plus personne n'osera mettre son nez dans les pharmacies des clubs" (L'Équipe).


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